dimanche 10 mai 2015


Ecrit d’invention
C’était une de ces soirées d’été de 1885 ou l’air manquait dans Paris. Après avoir fini mon cours de piano pour ces terribles minots, je voulus me soulager avec une bonne absinthe au restaurant de l’Antic.   Assise à cote de mon très cher ami Paul qui était toujours habillé d’un complet de trente francs, je sirotai mon absinthe tout en discutant avec lui. Je lui racontais mon angoisse : celle de perdre mon travail ; ma peur : que je n’ai plus assez pour venir manger ici avec lui, ma fatigue quand je terminai mon cours de musique et mon agacement  pour ces gosses qui ne comprenaient rien de ce que je faisais ; pour eux c’était trop dur. Paul fit de même en me parlant de sa vie de misère et qui empirait chaque jour. Nous restâmes là à discuter  jusqu’au moment ou un homme capta mon attention.
 Il payait la caissière. Toutes les femmes avaient levé la tête vers lui : trois petites ouvrières et deux bourgeoises avec leurs maris que je trouvais toujours ici. Elles n’étaient point du tout discret. Je les entendais dire qu’il portait beau et qu’il avait une pose d’ancien sous-officier. Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, il sortit du restaurant. J’ai dit à Paul de m’attendre, que j’allais revenir tout de suite car la tête de cet homme me disait quelque chose.
 A peine sortie, je sentais les égouts qui soufflaient, leur haleine empestée, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vielles sauces. Lorsque cet homme fut sur le trottoir, je le vis demeuré immobile durant une minute. Ensuite, il cambra sa taille et frisa sa moustache d’un geste familier et militaire. Il était habillé d’un complet poussiéreux mais il gardait une certaine élégance tapageuse. C’était un grand  blond châtain vaguement roussi, avec des yeux bleus et des cheveux frisés naturellement.
Je me demandais ce qu’il attendait sue ce trottoir. Je voulus alors aller lui  parler. Tout à coup, il se mit à descendre la rue Notre-Dame de Lorette, la poitrine bombée, les jambes un peu entr’ouvertes comme si il venait de descendre de cheval  avançant brutalement en cognant les gens comme si la rue lui appartenait. Il se sentait supérieur à eux. Cela me rappelait de plus en plus quelqu’un dont j’avais oublié le nom. Je marchais derrière lui tout en essayant de me souvenir de son nom pour l’aborder.
Je remarquais les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, qui fumaient la pipe sous des portes cochères. Les passants allaient d’un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main. Soudain je me souvins de son nom : Georges. Il faisait partie de la même division que mon mari.

 Une grande foule sortit du théâtre, je criais son nom sans cesse. Je le vis ne pas se retourner et je le perdis dans la foule alors qu’on était arrivé au boulevard. Je décidai donc de faire demi-tour et de retourner au restaurant.
Un bar aux Folies-Bergère (96 cm x 1,30 m)

Un bar aux Folies Bergère est un tableau réalisé par le peintre Édouard Manet au début des années 1880. Il s'agit de la dernière œuvre majeure de Manet avant sa mort 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.