mercredi 29 avril 2015

Ecrit d'invention (réécriture)

Je ne sais pas depuis combien de temps, je fixe mon verre. Une demi-heure, trois quarts d’heure ? Je ne peux dire. J’ai découvert ce matin que mon amant me quitte. Quel imbécile ! Il se marie dans cinq jours avec une de ces bourgeoises naïves qui croient au coup de foudre. J’entends, déjà mon père dire : « Je te l’avais dit ! ». Oui, ce jour-là, je l’avoue, je me suis comportée comme une fillette en faisant la sourde oreille auprès de mon père, pour suivre mon amoureux. A l’époque, il me promettait le mariage, autant d’enfant que je voulais et une belle maison. Tout ce dont rêve une jeune fille. Il a dû utiliser cette technique pour envoûter cette fille, mais moi j’ai ouvert les yeux et j’ai compris qu’il n’y a que l’argent qui intéresse les hommes.
Je lève les yeux et adoucis les traits de mon visage. Je ne voudrais pas que les clients de ce café me prennent pour une ivrogne. Le café est assez petit, avec très peu d’espace entre les tables et surtout, bondé.  Les conversations se mêlent et accentuent cette chaleur étouffante d’une fin de journée de juin.
« Ha, ha, ha ! Oui, quel dommage. Mais il serait bien pour ta fille, Catherine. », dit une femme à ma droite. «  Tu as raison, mais j’aurais préféré ce beau jeune homme dans mon lit ! », lui répond son amie.  Je reste bouche bée, ces ouvrières devraient songer à la rude journée de travail qui les attend demain ou comment  nourriront-elles  leurs mioches.
« Qu’il porte beau, malgré son complet de soixante francs et son chapeau haute forme défraîchis !» reprend la première, « Certes mais avec cette élégance, qu’importe qu’il soit riche ou pas. », déclare à nouveau sa camarade.
Intriguée et agacée, par leur indiscrétion, je suis leur regard pour voir de quelle personne il est question.
 Assis à la table en face de moi, un homme boit un bock de bière. Je ne peux détacher mes yeux de lui. C’est cheveux sont blonds et frisés, séparés par une raie au milieu de son crâne. Ses yeux bleus et sa moustache retroussée, de la même couleur que ses cheveux, lui donne ce charme auquel  ne résiste aucune femme. Il me fait penser au mauvais sujet des romans populaires.
Il finit son verre et se dirige vers la caisse. Il est assez grand, il marche la poitrine bombée et les jambes légèrement arquées comme s’il venait de descendre de cheval. Le tout, associé  à ses gestes militaires, montre qu’il a sans doute appartenu à l’armée. En observant cet inconnu, je vois mon ancien amant, Albert qui est sous-officier. Lui aussi a l’habitude de marché le buste relevé pour se donner un air fier et courageux. Il faut absolument que je me sorte ce traître de la tête. Revenons à notre étranger.
 Après avoir payé sa boisson, il se dirige vers la porte mais s’arrête dans l’encadrement. Il hésite, ne sachant sûrement où aller et regarde les femmes passées avec un regard intéressé comme s’il était à la recherche d’une rencontre amoureuse. Il sort du café et je décide de  le suivre. Il faut que je découvre qui est cet homme. Je suis seul maintenant et le peu d’argent que me font gagner  les cours de musique ne me permettront pas de vivre correctement. De plus, cet homme a tant de point communs avec Albert que je peux les confondre. Nous pourrions bien nous entendre.
 A mon tour, je sors du café. Cette soirée est vraiment étouffante, aucun vent frais ne souffle dans la rue. Je me demande même s’il ne faisait pas moins chaud dans le café. La nuit vient juste de tomber et je peux voir de loin Pierre, mon cousin, qui allume les réverbères. C’est son métier, tous les soirs, il les allume et  le matin, les éteint, un part un. Il me salue d’un geste de la main. Je le lui rends avec un sourire.
 Derrière mon chère cousin, je peux apercevoir ces appartement dont les cheminées laissent échapper une épaisse fumée noire, qui en s’élevant dans les aires cachent les étoiles. Une file d’omnibus vide  passe sur le boulevard, ils doivent surement rentrer aux garages.
 Maintenant, je me concentre. Je ne dois pas perdre de vue mon inconnu. Il avance brutalement dans la rue en bousculant les personnes qui ont le malheur de se trouver sur son chemin. Le boulevard est assez animé durant l’été. Les gens aiment bien se promener dans la rue pour ressentir la fraîcheur du soir, même si aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Le bruit des voitures mêlé aux  conversations des gens forme un énorme chahut, presque insupportable.
Je le suis toujours à travers les rues, mais en passant devant un théâtre, une énorme foule surgit de ses portes. Comme à chaque fin de spectacle,  c’est la folie. Les gens se précipitent et se bousculent, pour avoir une voiture, sans se soucier d’écraser les autres. Après quelques minutes, un cortège composé de calèche et de fiacres traverse la rue et vont ramener leurs occupants chez eux. Je me fraie, avec beaucoup de mal, un passage à travers cette meute de chiens excités, qui n’ont pas réussi à se trouver un transport. Je ne vois plus que le chapeau défraîchis de mon inconnu, ce qui m’inquiète car je ne veux pas le perdre.
Toujours en suivant le chapeau, je quitte enfin cette foule, et je respire. Il me faudra me laver en rentrant, je suis toute collante, de transpiration. Je déteste cette sensation. Fatiguée par cette rude journée, je me décide enfin à l’interpeller. Je lui donne une petite tape sur l’épaule mais lorsqu’il se retourne, je vois un vieil homme barbu qui doit avoir au moins soixante-dix ans. Ce dernier me lance un regard contrarié. Par politesse, je  m’excuse auprès de lui.

Déçu d’avoir perdu ce beau jeune homme, je décide de rentrer chez moi. Si je n’ai pas réussi à découvrir qui était cet étranger, cela doit être le destin. Un jour, peut-être, je rencontrerais mon âme sœur et je me marierais.



Dans le bleu, Amélie Beaury-Saurel, 1894

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